Arthur POITEVIN, résistant et musicien pianiste

Mis à jour le 16/04/2024
Arthur POITEVIN, résistant et musicien pianiste

Arthur Poitevin, surnommé "Tutur de Bayeux", est né le 6 décembre 1917 dans une famille de marins pêcheurs de Port-en-Bessin, Arthur Poitevin perd la vue à quatre ans. Il reçoit le soutien providentiel d'un professeur d'Université, lui-même devenu aveugle à cet âge. Arthur suit les cours du conservatoire de Clermont-Ferrand et obtient un Premier Prix de violon et un Deuxième Prix de piano, puis devient professeur de violon à Bayeux.

Sous l’occupation, il est organiste et professeur de musique à l’établissement Jeanne d’Arc et à l’école Notre Dame. Il fut également violoniste. Il est marié à Raymonde Letourneur, institutrice à l’école Notre Dame.

Il devint un membre actif de la Résistance, mouvement Libération-Nord de Basse-Normandie.
Arrêté par les nazis en septembre 1943 pour avoir renseigné et aidé un Polonais, agent de la Gestapo. (Un mois après l’arrestation de son cousin Joseph Poitevin). Il fut interné puis déporté avec son cousin Joseph dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof (en Alsace) en 1943.

Il portait alors le matricule 5967 au camp de Natzweiler-Struthof et le matricule 101 336 à Dachau.

Le Block 10 du camp du Struthof était sous la direction d'un kapo luxembourgeois qui tolérait les instruments de musique des détenus, ainsi que leurs chants.
"Tutur" composa le 19 janvier 1944 un chant, "La Voix du Rêve", qui évoque à la fois le camp et l'espoir de la libération, il remonta le moral des codétenus et leur redonna courage et espoir.

Son œuvre est devenue depuis un hymne pour tous les déportés.

Lors de l’évacuation du camp du Struthof fin août 1944, il fut transféré à Dachau le 6 septembre 1944 et libéré par les Américains le 29 avril 1945.

A son retour dans le Bessin, le 17 mai 1945, il retrouve sa femme et reprend son activité d’organiste de la cathédrale de Bayeux.

Plus tard, il ouvre une librairie, rue Saint Jean à Bayeux.

Il meurt en 1951 à l’âge de 34 ans.

Témoignages de internés au camp de Natzweiler-Struthof sur la chanson par Arthur Poitevin:
“L'aveugle, Tutur, considérait qu'il fallait tenir, résister. Un soir, au réfectoire, un chant s'éleva dans le silence. Tutur venait d'inventer les paroles et l'air d'une chanson sur le camp de Natzweiler, et il la chantait pour remonter le moral de ses copains. Cette fois encore, c'était lui qui donnait une leçon de courage aux autres. À sa manière, il participait à la solidarité et donnait une leçon de dignité humaine.

Les copains, auditeurs silencieux, étaient pris d'émotion, mais aussi remplis d'espoir à l'écoute de "La voix du rêve". Le rêve? C'était la liberté! Il y avait plus d'une larme sur les joues des uns et des autres, et le dernier couplet ‘ouverture sur la liberté’ engageait à l'optimisme.”

“Nous avions fait venir Tutur dans notre Block, un soir, pour l'entendre interpréter sa chanson. Je me souviens avec quelle attention émue nous l'écoutions. Je ne pouvais que penser à mes enfants. Cette chanson devint la nôtre au camp. Les êtres qui nous étaient chers n'étaient pas oubliés, cette vie que nous menions n'était qu'un cauchemar puisque le rêve pour nous était de recouvrer la liberté.

J'ai vu des camarades avoir les larmes aux yeux, c'était des larmes de tendresse à l'adresse de leurs familles qui ignoraient tout d'eux, mais qu'ils pensaient revoir bientôt tellement leur optimisme était grand. Brave Tutur, tu nous as aidés beaucoup à remonter le moral de nos camarades.

Il m'est arrivé lorsque j'allais voir les plus abattus, de leur fredonner ta chanson; un sourire effleurait leurs lèvres, ils reprenaient confiance.”

Paroles de l'Hymne des déportés :

Quand revient le moment du rêve,
Que peu à peu le Block entier s'endort,
Dans le soir qui s'achève,
Quand le vent de la nuit vient pleurer près des miradors,
Parfois en notre âme un peu lasse,
Monte soudain un trouble sans pareil,
C'est comme un gai refrain qui passe,
C'est comme un rayon de soleil.

Écoutez c'est la voix du rêve,
Qui revient chanter en nos cœurs,
Déjà l'aube se lève,
Présageant pour l'avenir des jours meilleurs,
Miradors, barbelés, brimades, cela n'est plus que des souvenirs amers,
Nous rirons de nos peines bien loin de Natzweiler.

Le songe a supprimé l'espace,
À la maison nous voici de retour,
La chaise est à sa place,
Au coin de la table où nous prenions nos repas chaque jour,
Voici venir le cher visage,
Nos bienaimés nous sourient tendrement,
Pour ne pas troubler le mirage,
Les gars ronflez plus doucement.

Quelle allégresse règne en notre âme,
Ah! Quel bonheur! Ah! qu'il fait bon chez nous!
Enfants, parents ou femmes,
Tous leurs baisers ne nous avaient jamais semblé si doux,
Notre fringale est apaisée,
Plus de Mutzen! Adieu les numéros,
Fini: appels, rabiots, corvées,
Mais ne remue pas tant là-haut.

Aujourd'hui cela n'est qu'un songe,
Oui! Mais demain le réalisera,
Si les jours se prolongent,
Disons-nous que bientôt la liberté nous reviendra,
Pour cette liberté chérie,
Préparons bien nos cœurs et nos esprits,
Afin que nos fils en leur vie,
N'aient à jamais, à venir ici.

Natzweiler est un mauvais rêve,
Qui bientôt fuira de nos cœurs,
Déjà l'aube se lève,
Présageant pour l'avenir des jours meilleurs,
Miradors, barbelés et chaînes, ne seront plus que souvenirs amers,
Nous rirons de nos peines bien loin de Natzweiler.