15 mai 1944 - La rafle de Vaucelles

Mis à jour le 12/05/2023
15 mai 1944 - La rafle de Vaucelles

Le dépôt de la gare de Caen, où près de 800 ouvriers travaillent à l’entretien et la réparation du matériel roulant, est très tôt devenu un foyer de Résistance. Dès 1940, nombreux sont ceux qui ont commencé à se livrer à des actes de sabotage. Alors que la pénurie s'installe, gaspiller volontairement l’outillage est une façon de ralentir la production. Lorsqu'un stock de boulons arrive, il est vite épuisé: par kilos, ils sont subrepticement jetés dans les foyers des locomotives. Quelques coups de poinçon sur une pièce neuve suffisent à la rendre fragile. Les précieux coussinets de bielle disparaissent mystérieusement et il faut des semaines avant d'en recevoir de nouveaux en provenance des ateliers de Sotteville.

Les sabotages sont quotidiens et à grande échelle, et sont effectués sur le matériel mis en réparation par les Allemands.
Parmi ces résistants, Achille BOUTROIS, membre du Front National (mouvement de la Résistance intérieure française créé par le Parti communiste français) réussit, avec ses frères Émile et Michel, au cours de la nuit du 30 avril au 1er mai 1944 à faire tomber une locomotive dans la plaque tournante de la gare, la mettant ainsi hors de service.
Ce coup d'éclat déclenche une rafle de la Gestapo dans le milieu des cheminots caennais.  La police politique descend dans le quartier de Vaucelles pour procéder à des interpellations ciblées par les collaborateurs particulièrement bien renseignés.

Comme plusieurs de leurs camarades, Achille Boutrois et son frère Michel sont arrêtés le 15 mai 1944.

On les emmène de force dans les locaux de la Gestapo, rue des Jacobins, où ils se retrouvent face à Serge Fortier, fils d'un garagiste, faisant partie de la sinistre « bande à Hervé ».

Achille BOUTROIS

Fils de Charles Boutrois, chauffeur au chemin de fer, et de Louise Jeanne Porée, sans profession, Achille Boutrois était ouvrier au dépôt SNCF de la gare de Caen. Il s’était marié le 7 juin 1941 à Caen avec Arlette Dargent et était père de deux enfants, . Comme ses frères Michel et Émile, il s’était engagé dans la Résistance depuis 1942 au sein du Front national qui multipliait les sabotages sur le matériel allemand en réparation. Dans la nuit du 1er mai 1944, avec son frère Émile et un autre résistant, Jean Le Moal, ils parvinrent à rendre inutilisable la plaque tournante de la gare en y précipitant une locomotive. Mise en alerte, la Gestapo lança alors une série d’arrestations. Achille Boutrois fut arrêté à son domicile le 15 mai. Incarcéré tout comme son frère Michel à la maison d’arrêt de Caen, ils furent l’un et l’autre exécutés sommairement le 6 juin 1944 comme des dizaines d’autres patriotes. Leur frère aîné, Émile, qui avait réussi à se cacher, s’engagea à la Libération dans la 1re Armée française et fut tué au combat dans l’Est de la France.
Inhumé dans la cour de la maison d’arrêt de Caen, son corps fut exhumé par les Allemands avant leur fuite, et ne fut jamais retrouvé. Son nom figure sur le monument des fusillés de Caen ainsi que sur deux plaques commémoratives de la SNCF dans la même ville.
Achille Boutrois a reçu la mention « Mort pour la France » le 11 mars 1948.

Michel BOUTROIS

Fils de Charles Boutrois, mécanicien au chemin de fer, et de Louise Jeanne Porée, sans profession, comme ses deux frères aînés, Émile et Achille, le jeune Michel Boutrois s’était très tôt engagé dans la Résistance. Ouvrier au dépôt SNCF de la gare de Caen, il appartenait à l’important groupe du Front national qui s’y était formé et multiplia les sabotages sur le matériel roulant mis en réparation par les Allemands. Il fut arrêté par la Gestapo le 15 mai 1944 avec quelques-uns uns de ses camarades du quartier de Vaucelles et interné à la maison d’arrêt de Caen où il retrouva son frère Achille. Tous deux figurèrent parmi les patriotes exécutés dans cette prison le 6 juin 1944.
Son nom figure sur le monument des fusillés de Caen, ainsi que sur deux plaques commémorative des personnels SNCF de la ville.

Colbert MARIE

Colbert Marie était le fils de Eugène Adolphe, bourrelier et de Cécile Aline Juliette Terrard, sans profession. Il était célibataire et exerçait le métier de garçon boucher à Caen..
Il fut arrêté à Caen dans la rafle anticommuniste qui eut lieu le 15 mai 1944 dans le quartier de Vaucelles, sans motif d’inculpation, et interné comme otage à la maison d’arrêt de Caen.

Le jour du débarquement en Normandie le 6 juin 1944 et suite au bombardement de la gare de Caen, le chef du SD de Caen, Harald Heynz décida d’éliminer la plupart des prisonniers afin qu’ils ne soient pas libérés par les troupes alliées. Colbert Marie fut sorti de sa cellule et conduit ainsi que 86 autres résistants dans une courette du chemin de ronde de la prison où il fut abattu d’une rafale dans la nuque. Les corps des victimes furent inhumés provisoirement dans une cour de la prison. Dès le lendemain 7 juin, les britanniques donnaient le premier assaut à la ville. Le 30 juin devant l’imminence de la prise de la ville, les allemands exhumèrent les corps pour les faire disparaître sans laisser de traces. Ceux-ci furent transportés en camion en un autre lieu à l’ouest de la ville, probablement dans des carrières de calcaire. Selon certains témoignages, ils auraient pu être emmenés près de Rouen, dans la forêt de La Londe, à l’entrée de laquelle une stèle "À la mémoire des victimes du nazisme dans la forêt de La Londe 1940-1944" a été érigée et incinérés dans une carrière en contrebas. Les corps n’ont donc pas été retrouvés pour être identifiés. Des bûcherons ont vu à cet endroit des camions et des soldats allemands, ainsi qu’une épaisse fumée. En même temps, il y avait une odeur de corps qui brûlent. Cela dura deux jours. S’agissait-il des fusillés de Caen ? Le mystère demeure.

Il obtint la mention « Mort pour la France » par jugement du Tribunal de Première instance de Caen le 5 juin 1947.
Son nom figure sur le monument commémoratif des fusillés du 6 juin 1944, à Caen (Calvados).
Il sera la plus jeune victime du massacre de la prison de Caen. Il n’avait que 17 ans.

Il écrivit ce message  sur un mouchoir : "Maman, j’ai été arrêté comme étant communiste par Fortier. Va le voir, explique-lui que je suis innocent, car j’ai reçu des coups de nerf de bœuf. S’il n’y avait pas Gisèle, je ne serais plus vivant. Dis à Roger de dire bonjour à tout le monde et à Kléber de venir avec l’Allemande de Littry et à Sobry de dire à Raymond de parler pour moi. Mille baisers à petite “Gigi“, Maman, Papa, Yolande et aux amis. A bientôt. Je suis innocent."

"La bande à Hervé"

Avec d’autres collaborateurs tels Joseph Martine, Jean Laronche, Pierre Bernardin et d’autres membres du PPF (Parti Populaire Français), ils se sont mis au service de la police allemande en tant que mouchards, supplétifs et exécuteurs des basses œuvres. Ils infiltrent les réseaux, arrêtent les Résistants et les torturent pour les faire parler.

Sous ce surnom, se cache un groupe de collaborateurs fanatiques qui va semer la terreur dans le Calvados de la fin de l'année 1943 à l'été 1944. La bande à Hervé tire son nom de son fondateur Raoul Hervé , collaborateur de Saint-Aubin-sur-Mer.

En juillet 1943. Julien Lenoir , responsable du groupe Collaboration, souhaite fonder un service de renseignement pour aider les Allemands à lutter contre les ennemis de Vichy et du Troisième Reich. Il s’adresse aux Allemands qui lui recommandent de faire diriger ce service par une personne peu connue : Raoul Hervé. A cette époque, Raoul Hervé est le responsable du Centre d'information et de renseignement (CIR). Cet organe est, à l'origine, chargé de diffuser la propagande du régime de Vichy. Mais, très rapidement, il s’oriente vers une coopération policière avec les Allemands. Raoul Hervé rassemble alors un agglomérat monstrueux de brutes grossières, de partisans de la collaboration et de nazis fanatiques.

Les membres du CIR sont encadrés par la Gestapo en la personne de Kart Zaumzeil, dit "Charles", qui n'apprécie pas beaucoup ces Français qu'il considère comme des traîtres. C'est pour cela qu'entre septembre 1943 et janvier 1944, l'action de la bande à Hervé se cantonne essentiellement au renseignement, utilisant la méthode de l'infiltration. Les auxiliaires français se font ainsi passer pour des résistants ou des réfractaires et transmettent les noms collectés à "Charles". Cette méthode se révèle dramatiquement efficace. Ils sont ainsi responsables de la rafle contre l'OCM et de l'arrestation des responsables départementaux du Front national et des FTP en décembre 1943.

En février 1944. Harald Heyns , dit "Bernard", prend la direction de l'antenne du Sipo-SO de Caen après le départ de son chef Heinrich Meier et de « Charles ». Il décide alors d'utiliser sans vergogne les services de Raoul Hervé et de ses sbires. Ils se voient alors confier les missions d'arrêter et d'interroger les résistants. Ils forment alors le groupe Action du CIR de Caen, épaulé par le groupe Renseignement composé d'informateurs répartis dans tout le département. Au cours des quatre derniers mois de l'occupation, Raoul Hervé et sa bande vont mener une action dévastatrice contre les réfractaires au STO mais surtout contre la Résistance, provoquant l'arrestation de centaines de personnes. Ils infligent alors les pires tortures aux malheureux tombés entre leurs mains afin de leur arracher des noms. Ils démantèlent ainsi le réseau Alliance à la fin du mois de mars 1944 ainsi que les réseaux Zéro-France et Cohors-Asturies au mois d'avril.
Au tout début du mois de juin, Hervé et son groupe participent au démantèlement du groupe de résistance du docteur Derrien à Argences, action qui se solde par dix-sept arrestations.

Après la Libération, Serge Fortier sera à son tour interpellé et jugé, notamment sur la foi du message accusateur écrit sur le mouchoir. On le fusille le 9 mai 1946 avec d’autres collaborateurs. Où sont les corps de Colbert et de ses compagnons d’infortune ? Le mystère reste entier.

Sources : Jean Quellien et Jacques Vico